Mon quartier chic, ma vie à Conakry - pour Sandra T.
On s'est connues il y a longtemps, au lycée. Paris 14ème, métro Edgar Quinet.
Trois ronds en poche, juste de quoi se payer un paquet de dix et un café à la Coupole, on passait notre temps ensemble. Et puis les années sont passées, la fac, les voyages, le boulot, les nouvelles rencontres. Toi à la campagne et moi en Afrique, on vit aujourd'hui à mille lieues de nos virées à travers Paris, de Jussieu à Montparnasse... Comment aurais-je pu parier là-dessus !
Mais alors Conakry... qui l'eût cru dé ?
Qu'est-ce que je fais là ?
Et pour combien de temps ?
Et comment c'est la vie ici ?
En un mot, c'est quoi ce bin's dé ?
Et pourquoi je dis dé à tout bout de champ ?
On va reprendre tout du début, parce que non, Sandra, la vie en Guinée n'est pas comme tu l'imagines. Je ne vis pas dans une pub pour l'expatriation romantique. Désolée de casser l'ambiance mais le quartier chic des ambassades, les rues typiques avec des commerçants ambulants, un peu comme dans "L'Amant" mais version africaine... j'ai le regret de t'annoncer que tout ceci est le fruit de ton imagination.
Désolée, on ne vit pas dans le décor d'un roman de Marguerite Duras.
Même si on dégage la même classe naturelle que ses héros.
Tu pensais que je me baladais à pied dans les rues chaudes et poussiéreuses avec mon bébé porté en écharpe... Pour le "chaud" et le "poussiéreux", je crois que je ne peux pas te contredire. Le bébé en écharpe... comment dire... pourquoi pas ? Si la panoplie de soudeur est livrée avec l'écharpe.
Si je déambule avec les gens qui me parlent comme si j'étais là depuis toujours ? Tu entends probablement, par déambuler, que je me déplace avec un déhanché chaloupé, pour que ma démarche colle à la douceur de la vie guinéenne. Pour être tout à fait honnête, je déambule essentiellement à bord de ma 4x4, c'est plus en phase avec la réalité.
En m'installant à Conakry, j'ai troqué mon passe Navigo
contre une voiture avec chauffeur.
Et lorsque j'en descends, c'est vrai, on m'apostrophe.
Crois-tu qu'il s'agisse en fait de la façon traditionnelle de saluer un vieil ami de la famille ?
En réalité, la vie à Conakry est bien différente de ce que tu as imaginé.
Mon quartier a beau être chic, il a la tronche en biais. Ses égouts débordent et ses rues ne sont pas goudronnées. Enfin j'exagère, il y a quand même bien un axe ou deux où on ne trouve pas de poulets qui courent au milieu de la route - car ce sont alors les moutons qui traversent sans regarder à gauche et à droite.
Mon quartier chic est une forêt d'immeubles dont un bon tiers été construit à la hâte il y a un an, lorsque Rio Tinto a triomphalement débarqué en Guinée... Aussitôt construits, aussitôt vidés, la folie n'était que passagère. Ils surplombent une forêt de toits de tôle, car mon quartier chic pousse dans un bidonville.
Je pourrais aussi te raconter que dans mon quarter chic, les propriétaires d'immeubles s'occupent de faire curer les égouts, pour que leurs contenu se déverse dans la mer sans trop d'encombrement. On dit aussi que ces mêmes égouts sont remplis de sable par des enfants afin de faciliter le passage des voitures - espérant recevoir un petit billet en remerciement. Pour le business continue, ils videront le sable le soir même pour recommencer le lendemain...
Ce que tu peux gagner c'est pas petit dé !
Et pendant ce temps, ça déborde. Oui, car j'ai oublié de te préciser que dans mon quartier huppé, les égouts préfèrent souvent dormir à la belle-étoile.
Alors tu vois, la poussette on ne la sort que de temps en temps. Faut vraiment que ça vaille le coup. Faut qu'on se dise que c'est le moment ou jamais, que si ou loupe l'occase, la journée risque d'avoir un goût d'inachevé.
Alors il arrive que la poussette se retrouve au supermarché Bobo. LA sortie incontournable de mon quartier branché.
Tiens, une petite poule blanche.
On y trouve des tas de produits de première nécessité.
Et puis les allées sont larges et c'est climatisé, alors on ne se refuse pas un petit plaisir.
Mon quartier de riches se trouve en bord d'égouts... euh... de mer. Il y a des installations touristiques de ouf, ça fait un peu penser aux Maldives ou aux Seychelles. En plus minimaliste.
Juste là à gauche, une colline d'ordures surplombe le paysage.
Un peu plus loin sur la corniche, un camion pizza nouvellement implanté sur la plage propose de servir ses clients après deux bonnes heures d'attente. On s'est dit que c'était une super idée, et puis on n'y est jamais retourné.
Tu vois ma Sandra, c'est ça mon quartier. Je te raconterai bientôt où je fais mes courses, où je me promène le dimanche... Tu te rendras compte que Conakry est vraiment à mille lieues de Jussieu-Motparnasse.