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Le léopard ne se déplace pas sans ses taches
1 avril 2013

Le syndrome de Conakry

Petit white gagne un salaire correct mais a quand même du mal à finir le mois.
Sa femme travaille, s'occupe des enfants, fait le ménage et les courses.
Ses semaines sont rythmées par les déjeuners du dimanche chez belle-maman.
Blanc quelconque parmi les Blancs, Monsieur Tout-Le-Monde sans relief ni panache.
Train-train quotidien, métro-boulot-dodo, ron-ron de tous les jours.
Français moyen dans son quartier familier... RER, galeries marchandes, zones industrielles, promenade au centre-ville, climat gris souris.
Ses nuits sont agitées par des rêves de luxuriantes contrées exotiques... et il se retrouve soudainement en poste à Conakry sans avoir bien compris ce qui lui arrivait.

...Atterrissage...

Du jour au lendemain, Monsieur Quelconque est devenu un Grand Quelqu'un. Il est interpellé dans la rue, tout le monde le connaît et l'appelle "le Blanc" ou "Patron". Il a plusieurs personnes à son service, chauffeur, cuisinier, femme de ménage, nounous... tous se plient en quatre pour le satisfaire, lui et sa famille.

Et puis au bout d'un mois, il tombe malade.

Il y a des maladies qui s'infiltrent en vous et vous transforment. Insidieusement, le trouble s'installe mais vous ne vous en apercevez pas tout de suite, parfois même jamais.

Nul besoin de se faire piquer par un moustique ou de boire de l'eau moisie. Inutile aussi de trainer des casseroles oedipiennes. Pour tomber malade, il suffit de s'arracher de son milieu familier et de se retrouver propulsé dans un monde qui fonctionne selon des codes indéchiffrables pour le pauvre petit blancos qui débarque ici. Monde qui vous perçoit d'une façon si nouvelle et avec une conviction telle, que cela pourrait ébranler votre santé mentale. Sans mode d'emploi, sans décodeur et sans dictionnaire franconakyka, Monsieur Quelqu'un finit par croire à la réalité de sa puissance.

On a isolé le syndrome :


A. Apparition d'un délire de type mégalomaniaque
(1) Tutoiement systématique des autochtones en étant vouvoyé en retour. Trait fréquemment accompagné de l'incapacité à dire « merci »
(2) Conviction d'être le "patron" – de ses employés mais également du garagiste, du gardien de l'immeuble, de la marchande de légumes, du petit de la rue et des mendiants de la ville
(3) Conviction d'être la seule personne - avec son groupe social et culturel d'appartenance – à être dotée d'un comportement et d'une pensée « normaux »
(4) Sentiment de détresse intense lorsque le cuisinier ne vient pas travailler ou que les trois enfants du foyer n'ont que deux nounous – apparition de pensées obsédantes de type « comment vais-je m'en sortir ? »
(5) Pensées magiques de type :
      - je vais aider les pauvres petits Africains
      - je suis ici pour être utile,
      - ma présence en Afrique va y impacter durablement le cours des événements sociaux, politiques voire même religieux
(6) Hallucinations auditives : comme une petite voix qui dit que les colons français ont été drôlement courageux à leur époque

B. Perturbation marquée du rapport à l'argent
(1) Incapacité à dépenser moins de 4000€ par mois au Leader Price
(2) Considération que 3000€ de loyer est une somme modique

C. Enonciation de certitudes répondant au besoin de maîtriser une angoisse latente
(1) Certitude qu'ils sont tous idiots
(2) Certitude qu'ils sont tous gentils
(3) Certitude que ce sont tous des voleurs
(4) Certitude qu'ils ont tous un poil dans la main
(5) Certitude qu'elles sont toutes des pleurnicheuses
(6) Certitude qu'ils ne savent pas élever les enfants
(7) Certitude qu'ils ne comprennent rien
(8) Certitude que tous les Blancs partagent ces certitudes

D. Obsessions tournées vers les employés
Trait fréquemment observé chez les femmes au foyer n'ayant d'autre occupation que de commenter, en groupe et avec véhémence, le fait que Fatou, Binta et Hawa ne sachent pas quelle priorité donner aux différentes tâches ménagères qui leur incombent (entre javelliser la poubelle ou faire les vitres par exemple). Attention, sujet éminemment épineux pour l'épouse d'expatrié. Lorsqu'elle est en crise, prendre ses distances ou sortir la camisole.

E. Conduites toxicomaniaques
Consommation quotidienne excessive de Guiluxe, Jack Daniel's, Pastis et autres alcools. En groupe mais aussi tout seul, de plus en plus tôt dans la journée. Se reconnaît à l'haleine de chacal et au teint rosé.

F. État confusionnel persistant, avec une prévalence notoire chez les hommes de plus de cinquante ans
(1) Conviction d'être aimé sincèrement par toutes les jeunes filles rencontrées en boîte de nuit
(2) Besoin de s'afficher avec une poule muette de 18 ans lorsque Madame n'est pas là
(3) Absence de réflexion sur le rapport entre la domination économique et l'apparition d'un sex-appeal irresistible et jamais connu auparavant


Attention ! Si tu reconnais chez toi plusieurs de ces symptômes tu as probablement contracté l'africa expatris delirium, maladie tropicale plus communément connue comme "syndrome de Conakry".
Pour te soigner, une seule thérapeutique efficace : la rentropaycilline, des laboratoires Air France. Peut se prendre en une dose définitive (recommandé) ou plusieurs rappels dans l'année.

Tiens, ça tombe bien c'est les vacances.
Tchus !

Bye bye

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Commentaires
A
C'est franchement excellent comme texte. Traiter du comportement des "petits blancs avec autant humour, c'est plutôt rafraichissant. À cette réserve près que j'ai relevé ce syndrome dans plusieurs pays africains : Sénégal, Mali, Niger, Gabon, Madagascar... C'est incroyable ce que ça peut être contagieux. Mais heureusement, j'ai aussi rencontré des gens normaux. Pas beaucoup, mais j'en ai rencontrés.
M
Bravo! Ça fait longtemps je n'a pas lu un article tellement vrai!
J
Quel article, très symptomatique, merci!!
F
Bravo pour cet article ! Révélateur de l'état confusionnel dans lequel tout expatrié devrait être plongé après un séjour un peu prolongé en Guinée mais pas seulement ! Pas toujours évident à gérer et qui amène à se demander : mais qu'est-ce que je fous là ? Quelles pourraient être les bonnes raisons ? y'en a-t-il de mauvaises ?
A
ca c est les blancs de la ville déh ! pas ceux de la banlieue !!!!
Le léopard ne se déplace pas sans ses taches
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