L'espace priv'blic
Ah bon ? Tu ne sais pas ce que c'est l'espace priv'blic ?
Non non, ce n'est pas le dernier maquis à la mode où boire une bonne Guiluxe après le travail.
Ce n'est pas non plus un concurrent du Centre culturel franco-guinéen, non...
L'espace priv'blic, c'est tout autour de nous.
L'espace priv'blic, c'est le public qui se privatise.
L'espace priv'blic, c'est la rue.
Hé oui parce que toi, dans ton village de la Sarthe, le match de foot se joue le week-end au stade municipal, pas vrai ? Même à Brissac-Quincé (spéciale cacedédi) c'est comme ça. Et puis s'il y a quelque chose à fêter dans ta famille, tu vas consulter Monsieur le Maire, et puis tout ce beau monde se réunit dans la salle des fêtes, hein ? J'le savais.
Ben ici c'est pas comme ça.
Déjà tout petits, les enfants investissent la rue avec assurance. Ils déposent des cailloux sur le sol afin de délimiter leur sacro-saint terrain de foot. La taille des cailloux utilisés est souvent proportionnelle à la taille des enfants, adolescents ou jeunes adultes qui se regoupent en classes d'âge.
Les voitures qui veulent passer par là n'ont qu'à bien se tenir. A Conakry, pour pouvoir rouler sans trop de danger, il faut savoir tâter du klaxon*.
*A chaque intonation du pouêt-pouêt correspond un message particulier, selon le contexte
(Euh, pardon ! / Dégage ! / Attentioooonn !!! / Merci ! / Connn.....d !) ça s'apprend très vite.
Debriefing de la fine équipe avant de reprendre le jeu.
A simplement voir ces photos, on n'a pas idée des drames qui se nouent sur le bitume... et des hurlements qui les scandent. A chaque match flotte comme un air de coupe du monde dans les petites allées poussiéreuses de la capitale. Pour la sieste du dimanche après-midi euh... comment dire...?
Surtout que pendant ce temps-là, de l'autre côté de la rue se trame une priv'blicisation bien plus radicale. Et là, ce n'est plus pour jouer, ce sont les parents qui s'en occupent. Des tentes rose bonbon trônent fièrement au beau milieu de la route, et des dizaines de chaises en plastique sorties de l'usine Topaze attendent la fête en rang d'oignons. Tu dois faire demi-tour la queue entre les jambes si par malheur tu as cru que c'était - comme tous les autres jours - une simple rue, un passage public. Non. Aujourd'hui, c'est la salle des fêtes de la famille Sylla.
Les vieilles enceintes sont prêtes à cracher leur larsen tonitruant, le volume du son est bloqué au maximum. La diva se prépare à hurler dans son micro. L'assemblée venue faire la fête va faire exploser sa joie...
La semaine dernière, ce sont six énormes enceintes qui ont fait vibrer nos murs jusque tard dans la nuit. Cette fois, une sélection de quatre vieux tubes disco/techno/dance répétés en boucle était soutenue par les acclamations d'une foule surexcitée. Fallait bien que le voisinage en profite un maximum...
Ecoute plutôt, tu comprendras :
Bon, plus ou moins tard dans la nuit, chacun finira par regagner sa chambre. On pourra ôter de nos oreilles les bouchons en silicone, enfoncés jusqu'à l'os sans trop de conviction : on les sait bien incapables de lutter contre un tel volume sonore.
Et là... au moment où les yeux se ferment enfin... c'est l'appel à la prière qui reprend du service à 5h du matin. Le privé considéré comme public qui s'immice dans mon privé à moi ! La mosquée du quartier a une sono flambant neuve dont manifestement on ne se lasse pas de tester la puissance. On verra si c'est toujours le cas après la saison des pluies.... aaaahh, la pluie ! Faudra que je te raconte un jour tout ce peut faire la pluie...
♫♫ Le dimanche à Conakry,
c'est le jour de mariage ♫♫